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2 août 2011 2 02 /08 /août /2011 21:30

 

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« Chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière »

         Victor Hugo - Extrait de Les Contemplations

 

« J'ai dans les bottes des montagnes de questions

Où subsiste encore ton écho »

Alain Bashung - La nuit je mens

 

 

Le matin, après avoir négligemment nourri mon corps pour qu’il me laisse en paix, je vais prendre ma douche. Je reste assez longtemps au contact du jet puissant ; en tout cas assez pour voir la fine peau de mes doigts se creuser et flétrir, comme victime d’un vieillissement prématuré. Certains jours, il m’arrive encore de laisser le shampoing se répandre sur mes yeux. Ce subterfuge, jadis, donnait à mes larmes un prétexte pour masquer mon orgueil.

Peine perdue désormais. Je n’ai plus ni chagrin ni fierté.

Mes hanches osseuses enroulées dans une serviette, je reste devant la glace de la salle de bain et regarde la buée se dévêtir peu à peu de ses étoffes vaporeuses. Sans émotion, je redécouvre mon visage, ses traits qui dessinent des barres obliques, des virgules, des parenthèses désenchantées. Il semble que chaque jour qui passe apporte son cortège de ponctuation sur ce masque marqué des premiers outrages du temps. Mes joues sont creuses. Mes pupilles sont vitreuses.  Mon teint est blême. Je ne me plains pas. A dire vrai, pour un cadavre ambulant, je suis insolent de santé.

Une fois habillé, j’ouvre les lettres récupérées dans la boîte métallique dont l’étiquette est amputée de ton nom. Le courrier personnel se fait de plus en plus rare. Le téléphone, lui, ne sonne plus. Petit à petit, je suis parvenu à me délester de tous et de tout. Rien ne gravite, plus rien ne s’accroche. Progressivement, je m’emplis de vide. Je ne suis qu’une substance neutre et dérisoire. Un placébo.

L’après-midi, je reste accoudé sur le rebord de la fenêtre. Amorphe. Un peu cynique aussi. Par distraction, il m’arrive encore de décocher par la pensée des flèches de réflexions empoisonnées. Les derniers vestiges d’une amertume grotesque et poussiéreuse…

Dehors, égale à elle-même, il y a la vie et son carrousel avec sa petite boite à musique effrontée. Je regarde des singes et des guenons à qui on a donné l’usage de la parole et des vêtements. Ils marchent vite, courent lentement. Ils communiquent, contorsionnent leur figure, sourient, s’étreignent parfois. Certains tirent sur des laisses dans lesquelles s’étranglent leurs otages canins.

Du haut de ma loge, je vois aussi passer des bocaux de verre et de tôle où fermente cette population primate. Cris et crissements de pneus. Rires et avertisseurs sonores. Cette cacophonie humaine et mécanique semble prendre un malin plaisir à donner un opéra assourdissant. Pourtant, ce ne sont que des vies, rien d’autre que des vies. Des secondes ridicules qui s’égouttent, des poignées d’instants qui se veulent éternels. Des cœurs vulnérables qui s’imaginent conquérants et hors d’atteinte.

Comme le mien naguère.

Les yeux encore poisseux de ces relents de sarcasme, j’observe toutes ces existences désinvoltes qui me narguent sous ma fenêtre.

À seize heures pile, j’abandonne mon étude du monde extérieur, l’espace de deux petites heures, cent vingt minutes célestes. Écouter Xian, le fils du voisin du dessus qui suit son cours de piano. Le jeune prodige travaille sur la 5e Symphonie de Tchaïkovski. Je l’encourage mentalement, anxieux, mais éperdu de reconnaissance pour cette échappée divine que le virtuose m’accorde à son insu. La leçon de musique terminée, il me faut un moment avant de réintégrer mon corps.

Mon corps. Ce tombeau décharné.

Après, je retourne à mon balcon et à l’impertinent spectacle de rue jusqu’aux premiers déclins du jour.

En soirée, j’avale des substances. Leur odeur et leur saveur me sont devenues étrangères. Je vois des images dans la télévision. Sans remords, j’assassine le temps qui me sépare de l’obscurité et de son œil livide.

Enfin, la nuit arrive.

Lorsqu’elle disperse les foules et rapproche les corps, qu’elle immobilise le monde et se prépare à effacer mes erreurs du passé, je m’engouffre dans ses draps et mes mensonges. Tout peut alors recommencer.

La nuit est à moi. Elle m’appartient.

Fébrile et impatient de me plonger dans ses bras oniriques, ces lieux salvateurs où tous les espoirs me sont permis, je m’allonge.

J’attends.

Moi, le misérable phœnix, je suis prêt à renaître de nos cendres.

À redevenir.

Je ferme les yeux, mais je reste aux aguets.

J’attends.

Que tu reviennes souffler sur les braises.

Et que le feu reprenne.

Oui.

Que le feu reprenne.

 

 

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commentaires

M
<br /> Widj' bonsoir,<br /> <br /> <br /> C'est en suivant le fil de Salamandre que, de liens en liens je découvre votre site, puis ce texte. Même s'il date, je ne peux résister au commentaire : j'ai d'emblée été happée dans cet<br /> enfermement "à côté de la vie courante", que vous évoquez si bien. C'est la limpidité avec laquelle vous l'écrivez, le décrivez, qui me touche.<br /> <br /> <br /> Et puis j'ai eu la surprise de découvrir dans la chute, même si l'expression est très usitée, une affinité avec ce que j'ai écrit un soir de blues en 2004; je vous le livre en guise de clin<br /> d'oeil. Amitiés poétiques. MissNode<br /> <br /> <br /> Mon âme a si longtemps piaillé<br /> <br /> <br /> avec les morts<br /> <br /> <br /> qu'elle a abandonné sa flamme<br /> <br /> <br /> aux vents des sans-abri<br /> <br /> <br /> Le feu mérite<br /> <br /> <br /> que l'on souffle<br /> <br /> <br /> doucement sur les braises<br /> <br /> <br /> longtemps<br />
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